En voilà, une question absolument énorme. Ce Graal qu’est le temps à soi et qui semble de plus en plus loin dès qu’on devient parent, où le retrouver ? Quels sont les mécanismes qui conduisent à cet oubli de soi ? Comment garder son plaisir au travail et dans sa vie familiale quand on vit dans l’angoisse de ne pas être au sommet de l’excellence partout ? Nous avons rencontré Alice Gorrias, coach professionnelle chez Chance, et Claire Malenfant-Illiaquer, directrice de l’éducation durable chez Babilou, pour en parler.
Parce que tout nous incite à être au top. Partout. Tout le temps. Et qu’il faut que ça se voie. Il faut que ça se voie qu’on est à fond au travail avec des horaires comme avant la parentalité (car être parent au travail peut donner l’impression d’avoir perdu des points de crédit pour sa carrière - nous y reviendrons), et que ça se voie qu’on est le meilleur des parents avec une vie aussi bien que sur Instagram (et que dans les représentations d’une maternité absolue, experte, héritée des années 1950).
Claire Malenfant-Illiaquer, directrice de l’éducation durable chez Babilou, rappelle à juste titre que les représentations (dans les médias, les réseaux sociaux, le discours ambiant) sont remplies d’injonctions, que les “conseils pour être au top” qui envahissent ces supports sont des pressions énormes.
Car la parentalité, c’est aussi devoir s’excuser d’être parent quand on est au travail, et d’avoir un travail quand on est à la maison. Et tout ça mis ensemble donne une belle charge mentale qui au passage évacue un aspect essentiel de nos vies : nous-mêmes.
Alice Gorrias, coach professionnelle Chance (et elle-même mère de 3 jeunes enfants), suggère que la culture des objectifs de performance qui régit le travail (objectif : obtenir la reconnaissance et ainsi progresser professionnellement) et la vie parentale (l’objectif clair étant d’avoir un enfant épanoui et en bonne santé) fait passer sa propre personne en dernier (puisqu’il n’y a pas d’objectif de performance sur son bien-être personnel).
Dès lors, la solution est de tenter de rendre quelques moments (même courts) non négociables, exactement au même titre que sa performance professionnelle et la santé de son enfant. Car cela relève de la santé mentale, de l’équilibre, et en réalité, cela aura une influence positive sur tout le reste.
Alice Gorrias, coach Chance qui accompagne de nombreux parents, prévient : à force de faire TOUT passer avant soi-même, on court le risque de se prendre en boomerang un burnout dont les répercussions personnelles, professionnelles et familiales seront fortes. Comment alors éviter le surmenage ?
Quelle est votre vraie priorité, là, maintenant ? Est-ce de gagner plein de sous ? De mener à bien votre projet d’entreprise ? De voir beaucoup vos enfants ? D’avoir une vie de couple épanouie ? De retrouver souvent vos ami-es ? Le gros dilemme et la grande difficulté qui se pose ici est de devoir faire un choix, et d’accepter que ce choix ne veuille pas dire qu’on va complètement désinvestir le reste, mais qu’on va assumer qu’un élément est plus important, et qu’on y placera davantage d’énergie. Dès lors, cela induit de placer des objectifs clairs, un peu moindres, mais raisonnables, sur les autres points de sa vie, et de pouvoir sereinement les aborder, sans trop de culpabilité.
Faire ce choix est - ne nous mentons pas - extrêmement difficile, mais c’est la meilleure manière de ne pas s’épuiser, et surtout, de bien traiter les autres aspects de sa vie. Si vous savez que vous avez moins de temps à consacrer à vos enfants, le temps qui leur est dû sera bien plus qualitatif que si vous voulez tout faire entrer au chausse-pied.
Toute personne qui n’est pas parent trouvera cette phrase à la limite de l’absurde, et pourtant l’arrivée d’enfants réorganise tellement tout qu’on en vient à oublier ce qui nous faisait du bien, à nous et rien qu’à nous, seul-e, avec des gens, et même au travail.
La méthode d'Alice Gorrias : la liste des plaisirs
Alice Gorrias conseille un exercice très simple : prenez une feuille de papier pour y énumérer tout ce qui vous fait plaisir, en visant l’exhaustivité.
“Le mieux est d’aller jusqu’à 50 choses, pour se rendre compte que dans sa vie, il y a plein de choses qu’on aime faire (y compris contempler, rester posé-e sur son canapé, pas uniquement de l’action) et qui nous font du bien.”
Cette liste permet aussi de faire le point : qu’ai-je fait, depuis x mois, qui est dans cette liste ? Qu’ai-je prévu ces prochains jours/mois qui inclut certains de ces éléments ?
L’intérêt est de faire émerger ces lieux de plaisir et de leur donner une place dans notre vie, de les faire revenir dans notre emploi du temps et dans notre manière d’envisager le temps. “Je connais des personnes qui préfèrent se réveiller 1 heure avant leurs enfants pour prendre le temps de lire, de prendre un bain, quitte à sacrifier une partie de leur sommeil pour ce rendez-vous avec elles-mêmes,” explique Alice.
"La qualité du lien qui s’élabore entre un parent et son enfant est qualitative et non quantitative", rappelle Claire Malenfant-Illiaquer : “L’important, c’est l’amour qu’il y a entre le parent et son enfant.”
La parentalité ne s’établit pas sur un moule, mais sur la personne que nous sommes, ce que nous savons faire, ce que nous savons moins bien faire, et c’est cette unicité qui fait de nous un parent unique. Passer peu de temps, mais de grande qualité, avec son enfant, fait de nous un bon parent.
Même 10 minutes de câlin ou d’interaction pure, sans téléphone à portée de main pour lire les mails et les notifs, c’est déjà super.
Et on peut aussi reconnaître que, même en le sachant, c’est difficile de se dire qu’on n’est pas “un mauvais parent” quand on fait un truc pas parfait : dans ces moments, dialoguer avec les professionnel-les de la petite enfance (pédiatre, PMI, nounou, personnel de crèche) peut nous délester du poids de la culpabilité.
Parler entre parents fait beaucoup de bien. Et des parents, il y en a aussi bien à la sortie de la crèche ou de l’école, qu’au sein de votre travail. Partager vos difficultés, vos expériences, vos émotions et (allons-y) vos joies, auprès de personnes qui sauront les comprendre et sans avoir l’impression de perdre des points de crédibilité professionnelle, cela aide.
Groupes de parole et soutiens gratuits
Si vous avez besoin de soutien en dehors de ces lieux, il existe des dispositifs gratuits et d’excellente qualité à la CAF.
Pensez également à la PMI (protection maternelle et infantile) de votre quartier/région.
Par ailleurs, les gens sont plus solidaires qu’on veut bien le croire, et vous pouvez voir s’il est possible d’organiser des sessions où votre enfant dort chez un autre, et où à votre tour vous gardez un enfant pendant que ses parents passent un moment à eux.
Claire rappelle que c’est essentiel : “C’est beaucoup de responsabilité, pour un enfant, d’être le seul moteur de la vie de son parent. L’enfant a besoin d’un père ou d’une mère épanoui-e et heureux-se, qui soit présent-e dans des moments de qualité, mais qui soit aussi assumé-e en tant que professionnel-le, et en tant qu’homme ou femme.”
On part du principe que l’entreprise refuse catégoriquement d’envisager la parentalité de ses employé-es, et qu’évoquer sa vie de parent fait perdre des points de crédibilité professionnelle. C’est souvent vrai, ne nous mentons pas, et c’est sans doute une des raisons pour lesquelles 70% de femmes suivent le parcours Chance pour réorienter leur carrière et retrouver confiance en elles.
Oui, la discrimination en entreprise existe
En 2017, le Défenseur des droits publiait un baromètre qui constatait une discrimination encore très forte à l’égard des femmes, de leur grossesse et de leur maternité : “Au cours des cinq dernières années, les femmes actives de 18 à 44 ans qui ont été enceintes ou mères d’un enfant en bas âge ont été deux fois plus la cible de discriminations que les autres. Les résultats de notre enquête confirment la persistance d’une sanction sociale à l’encontre des femmes dans le milieu du travail liée à la grossesse et à la maternité, qu’elle soit présumée ou effective.”
Cela dit, Alice Gorrias, coach professionnelle Chance qui accompagne de nombreuses femmes dans leurs questionnements professionnels, suggère de détricoter les faits et les croyances “limitantes”. Par exemple : “Si je pars à 18h, je vais prendre des remarques.” Si on y croit dur comme fer, on va repérer tous les éléments qui vont venir renforcer cette croyance. Alors que si on part parce que c’est comme ça, sans donner d’excuses et en se sentant légitime, on s’allègera considérablement. Alice Gorrias rappelle que la posture est assez clé là-dedans : “On ne m’a jamais fait de remarque parce que je me foutais de ce qu’on pouvait penser !”
Elle ajoute qu’il existe des outils pour se défendre :
Alice Gorrias met les pieds dans le plat : cette surcharge mentale est peut-être liée à l’entreprise, et changer est parfois la solution. La première question à se poser est : “Ai-je plus besoin de ce travail, ou d’accompagner mes enfants le matin, ou de me sentir à l’équilibre ?”
En général, quand cette question émerge, c’est que la satisfaction au travail n’est plus au rendez-vous. Or dans ces moments de vie, on a tôt fait d’être totalement dans le brouillard et se faire accompagner peut être une solution.
Un premier pas de regarder son travail autrement, pour se donner le recul nécessaire. Chance envisage le travail comme un temple qui reposerait sur 4 piliers :
Le tout étant de ne pas se perdre de vue, et de se souvenir que le meilleur outil pour éviter le surmenage parental et professionnel consiste à réapprendre à s'écouter et à prendre, même un peu, soin de soi.
Avant de nous séparer
Nous conseillons aux jeunes mères fraîchement rentrées de leur congé maternité et en pleine reprise professionnelle le podcast La Reprise, qui est un appui d’excellente qualité pour se sentir moins seule dans cette période particulière qu’est le retour au travail. Nos épisodes coups de cœur sont ceux où est interrogée Mathilde Bouychou, psychothérapeute - mais tous les épisodes font énormément de bien.
Et si vous sentez poindre l’envie d’un changement professionnel, Chance est là, toujours.
Prenez soin de vous !